"Je est un autre". Triste Rimbaud...

Publié le par Ali

 

rimbaud-copie-1.jpgRimbaud à Aden

 

 

Où, teignant tout à coup les bleuités délires

Et rythmes lents sous les rutilements du jour, 

Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,

Fermentent les rousseurs amères de l'amour !

(Le Bateau Ivre)


Il a dix-neuf ans quand il évoque les « rousseurs amères de l'amour ». Je sais pas vous, mais, moi, à cet âge, les « rousseurs amères » je les voyais pas trop/

Et puis, Verlaine en prison, il a disparu, quelque part entre l'Abyssinie pas très heureuse et les rives brûlantes d'Aden.

Sa dernière photo nous le montre en beauf colonialiste, pas très différent de ce qui se faisait de pire à l'époque et en la matière.

Il meurt anonyme à Marseille, une jambe en moins.

Les voies du destin sont impénétrables.

 

"Je est un autre". Partons, si vous le voulez bien de cette surprenante affirmation à laquelle seule la prescience d’un Rimbaud pouvait nous inviter.
"Je" est un autre, précisément parce que nous ne savons pas exactement qui est "Je".
Mettons d'emblée les choses au point. "Je" existe. Il est bien réel.
Ne faisons pas nôtres les thèses des atomistes (Democrite, Epicure), structuralistes et autres bouddhistes. "Je" n'est pas qu'une somme d'agrégats déterminés plus ou moins à l'avance. De même qu'un char est plus que le bois qui le compose, "Je" transcende ce qui fait qu'il est.
Exeunt donc les matérialismes purs et durs.
Nous ne savons pas vraiment qui est "Je", voilà le problème.
Déjà les Anciens nous invitaient à le découvrir. C'est la fameuse injonction delphique: "Connais-toi toi-même et tu connaitras les dieux."
Trouver "Je", n'est pas innocent précisément parce que c'est un autre et que l'autre fait peur.
Nous nous imaginons être ce que nous sommes. Et nous l'acceptons d’autant plus si c'est rassurant, alors pourquoi partir à la recherche d'un "Je" qui pourrait surprendre, voire déranger ?
Et puis, pourquoi se poser des questions ? Dès notre plus tendre enfance tout à été fait pour que nous nous persuadions que nous étions bien ce que l'on voulait que l'on soit.

"On", c'est les "autres": les parents, l'éducation, les strates religieuses, sociales, politiques, bref, tout ce qui veut classer, ranger,étiquetter.
Ce que je vous invite à faire c'est d'arracher la "peau du vieil homme" et de vous regarder, vous là, tel que vous êtes et en toute lucidité, les yeux dans les yeux.
Dépouillés de toute ces références, le résultat peut être surprenant, si du moins vous l'acceptez dans son réalisme froid.
Vous voilà, peut-être face à un étranger. Curieux...
Ce n'est pas évident à assumer. Vous pensiez être d'une certaine façon et, après examen, vous voilà tout autre.
Et ce n'est pas forcément en votre faveur. Vous pensiez être fort, respecté, intelligent, moral et vous découvrez un autre "Je", faible, timoré, retors, hypocrite, peureux...
Un "Je" attaché aux convenances, soucieux de ses petits intérêts et jaloux de son image, en somme un "Je" très dépendant de son "Je".

Et puis, là, vous êtes hors de votre cocon, loin de vos certitudes,  pareil au marin sur une mer inconnue et peut-être hostile.
Mais objecterez-vous: pourquoi vouloir connaître cet autre authentique ?
Précisément pour être heureux, ce qui est le but ultime de la philosophie.
En étant persuadé que le "Je" que vous exhibez et dans lequel vous vous reconnaissez est le vrai, vous vous exposez à la déception car, tôt ou tard, le réel prend le dessus.
Mais vous reconnaître plutôt différent de ce que vous pensiez être, voire radicalement, n'est-ce pas prendre le risque d'une déception plus grande encore ?
Tous les toxicologues vous le diront, l'intoxiqué est sur la voie de la guérison dès lors qu'il a pris conscience de son intoxication. On ne guérit pas de l'alcoolisme quelqu'un qui ne se reconnait pas alcoolique. Si vous vous reconnaissez, menteur, retors, comédien, fâlot influençable, ce n'est pas grave.
Soit vous acceptez cet état et vous vivez une vie de comédien, d'hypocrite, de fâlot, d'alcoolique ou de génie... Vous aurez, au moins, le mérite de la lucidité.
Soit, tout en l'acceptant, vous souhaitez changer ou vous amender... c'est votre choix, c'est votre liberté et bonne chance.
Mais dans les deux cas, vous serez sortis de votre léthargie, vous vous serez reconnus tel que vous êtes "vraiment". C'est déjà pas mal dans une existence d'homme.
"On", c'est-à-dire votre environnement, veut faire, a voulu faire de vous "quelque chose" et non pas ce quelqu'un que vous êtes. C'est plus simple pour le "On". En faisant de vous ce qu'il souhaite que vous soyez, il vous fait entrer dans son jeu, qui veut que vous soyez tel qu'il le désire car cela lui épargne des surprises  et, en retour, il vous offre, lui aussi,  cette protection dont vous êtes si friand.
L'existence est une expérience dramatique, nous sommes perpétuellement tentés de masquer ce drame, d'occulter la mort qui nous attend, nous et ceux que nous aimons, nous nous croyons immortels et faisons tout pour nous en convaincre.
Or vivre c'est tout simplement accepter ce qui est, l'être, et ce qui n'est pas, le non-être... tout simplement.
Parménide l'écrivait tout net: "Ce qui est, est. Ce qui n'est pas, n'est pas !"
Compris !


 

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